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Interview pour l’Obs

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Député socialiste de l’Essonne et ancien président de SOS Racisme,  Malek Boutih vient d’être nommé à la tête d’un groupe de travail parlementaire pour réfléchir à la mise en place d’un « cercle de défense de la République ». Il explique à « l’Obs » pourquoi le respect d’une laïcité stricte lui paraît la meilleure arme contre le terrorisme.

Pourquoi mettre en place à l’Assemblée nationale un groupe de travail autour de la défense de la République ?

– Parce que nous considérons que le combat contre le terrorisme n’est pas que sécuritaire mais aussi politique, à travers des problématiques comme la relégation de certaines populations dans des ghettos, l’oppression des femmes, la radicalisation des jeunes. Si ces thématiques sont traitées de manière policière, on est sur une pente dangereuse qui va dans le sens des djihadistes. La défense de la République n’est pas qu’une posture, n’est pas qu’un symbole. Il faut que les députés mettent la main à la pâte. Nous devons repolitiser l’Assemblée nationale et préparer les députés à entendre ce qu’ils ne veulent pas entendre. Ils ont en tête une photo de la France du XXe siècle. Mais aujourd’hui, le problème des banlieues ce n’est plus l’immigration, c’est la crise économique et la dépolitisation.

Concrètement, comment empêcher des jeunes de rejoindre une filière djihadiste ?

– Il faut partir des individus, écouter les discours de la jeunesse pour savoir ce qu’ils veulent vraiment: est-ce que les concepts d’intégration, d’appartenance à la nation française signifient quelque chose pour eux? Pour rétablir des contacts directs avec les populations marginalisées, il est nécessaire de faire appel à des assistantes sociales qui vont à la rencontre des gens.

Dans votre rapport « Génération radicale » remis au gouvernement en juin 2015, vous citez l’école comme lieu privilégié de réaffirmation des valeurs de la République. Comment l’enseignement peut-il prévenir la radicalisation des jeunes ?

– L’enseignement n’est pas la coercition, c’est un travail de fond. Aujourd’hui, on exerce une grosse pression sur l’école afin qu’elle revienne aux fondamentaux: écrire, lire, compter. C’est une erreur. L’école doit être un espace d’émancipation culturelle grâce au théâtre, à la peinture, à la littérature, à l’enseignement de l’histoire des civilisations. Elle doit permettre aux jeunes hommes et aux jeunes femmes de ne pas s’enfermer dans l’obscurantisme. Les écoles doivent également être beaucoup mieux intégrées à la vie de la cité et être ouvertes en-dehors des temps scolaires, en soirée et le week-end, pour organiser des spectacles, des projections cinématographiques, des expositions, en collaboration avec le corps enseignant.

Le gouvernement s’est dit inquiet de l’emprise des Frères musulmans sur certaines écoles musulmanes françaises. Comment lutter contre la radicalisation au sein de ces établissements ?

– Il faut être attentifs, sans être paranos. Je rappelle que beaucoup de parents envoient leurs enfants dans des écoles musulmanes non pas pour l’enseignement du Coran mais pour l’apprentissage de la langue et de la civilisation arabes. Et qu’ils se trouvent désemparés lorsque leur fils ou leur fille reçoivent des discours intégristes. On sait que les filières djihadistes recrutent dans les cours d’arabe ou de théologie. C’est le cas de la filière des Buttes-Chaumont , dans le 19e arrondissement de Paris, qui a recruté les frères Kouachi, auteurs de la tuerie de « Charlie Hebdo ». Notre responsabilité est donc d’informer les familles, de les mettre en garde pour éviter que leurs enfants ne basculent dans le djihadisme.

Manuel Valls a affirmé le 5 avril que les groupes salafistes étaient « en train de gagner la bataille idéologique et culturelle de l’islam en France ». Partagez-vous ce constat ?

– Oui, totalement. A chaque fois que les salafistes condamnent le mode de vie occidental, les responsables religieux français répondent: « Chacun fait comme il le souhaite ». Cela prouve bien que l’idéologie dominante de la pensée de l’islam est aujourd’hui le salafisme. Les imams français aimeraient peut-être bien avoir d’autres échos mais ils n’en ont pas. J’ai entendu certains représentants religieux, comme Anouar Kbibech [le président du Conseil français du culte musulman, NDLR], critiquer les propos du Premier ministre. Mais ces hauts dignitaires religieux sont sous la pression des salafistes. Ils craignent des représailles. Il ne faut pas oublier que les intégristes sont très violents, et particulièrement à l’encontre des musulmans. C’est à cause de cette peur que pas un responsable religieux n’a dit que le port du voile n’était pas obligatoire en France.

Est-ce que le débat ne se focalise justement pas trop sur le port du voile, au risque de devenir stigmatisant pour les femmes qui le portent?

– C’est un débat central qui en englobe beaucoup d’autres. Je maintiens que le port du voile n’est pas naturel. Il n’est pas un signe religieux mais un symbole de l’oppression des femmes. Derrière le voile se cache l’interdiction pour les femmes de sortir, de danser, de vivre normalement. Je ne nie pas que certaines femmes le portent par choix, mais à mes yeux c’est un symbole de la soumission féminine et non la manifestation d’une liberté.

Au sein du groupe socialiste les avis divergent entre partisans, comme vous, d’une laïcité stricte et ceux d’une laïcité plus ouverte. Est-il possible de trouver un point d’accord ?

– Je ne recherche pas le consensus. Je sais qu’il existe des dissensions au sein de la majorité. Toutes les voix pourront prendre part aux discussions de notre groupe de travail. Certains trouvent que nous allons trop loin dans la défense des valeurs de la République. Nous leur montrerons que c’est notre meilleur rempart contre le terrorisme. Il faut sortir du compromis à tout prix car c’est le meilleur moyen de faire gagner les djihadistes.

Que répondez-vous à ceux qui vous taxent d’islamophobie ?

– L’islamophobie est une manipulation politique qui a fait long feu. En France, nous sommes en droit de critiquer une religion quelle qu’elle soit. Les islamistes critiquent les autres religions et nous n’aurions pas de mot à dire sur la leur? Chez les musulmans, quand on rejette la foi islamique, on devient un apostat. On peut considérer l’islamophobie en Europe comme une forme d’apostasie.

Propos recueillis par Maïté Hellio le 6 avril 2016


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