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Interview L’Opinion

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Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme, député PS de l’Essonne, donne son point de vue sur la démarche singulière qui a conduit François Hollande à livrer ses confidences à deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, dans « Un président ne devrait pas dire ça… » (Stock).

«Un Président ne doit pas se confesser, le devoir de silence fait partie de sa fonction», dit le président de l’Assemblée, Claude Bartolone. Partagez-vous cet avis?

Non seulement je le partage, mais je me suis moi-même appliqué une règle: ne jamais rapporter aucun élément d’une conversation avec un président de la République, d’aucune sorte. Du point de vue de sa fonction, ces confessions sont une faute.

Nicolas Sarkozy reproche à François Hollande de s’être « mis dans la main de journalistes sous influence »…

C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité. Nicolas Sarkozy, homme politique et Président, s’est plusieurs fois retrouvé en situation délicate par rapport à la presse, soit parce qu’il a essayé de l’instrumentaliser, soit parce qu’il a tenté de la contrôler. Il s’agit d’une génération d’hommes politiques qui n’a pas trouvé la bonne distance avec la réalité des médias. Ils n’ont pas compris comment internet, les réseaux sociaux , les photos qu’on trouve partout, la nouvelle génération de journalistes, faisaient qu’un certain « entre soi », des règles tacites qui pouvaient exister autrefois, n’existent plus. C’est une erreur professionnelle, de la part de François Hollande, de ne pas avoir compris qu’un autre type de rapport avec la presse s’est instauré. Quelle que soit l’opinion individuelle qu’un journaliste peut avoir à votre égard, il a une responsabilité, de part sa fonction, donc l’inverse doit être vrai. Quelle que soit l’appréciation qu’un Président peut avoir à l’égard d’un organe de presse ou d’un journaliste, il doit aussi garder une certaine distance.

Bartolone, Cambadélis et Valls ne cachent pas que François Hollande s’est mis dans une situation difficile, à six mois de la présidentielle. Peut-il encore être candidat?

Il garde quand même la main sur la candidature, parce qu’il est le Président sortant. François Hollande n’est pas un homme qui apprécie sa situation politique en fonction de l’air du temps ou  de l’ambiance d’un jour, ni même de ses difficultés sondagières. Pour l’avoir soutenu lorsqu’il était au plus bas dans les sondages, je sais très bien ce qu’il en est: il n’est pas impressionné. Autant il a été avare de propos et d’analyses de fond, autant, sur le terrain tactique, on peut lui faire confiance. Je ne crois pas qu’au jour où on parle, il soit sorti du jeu. Il y avait déjà, avant la sortie du livre, beaucoup de nuages noirs, d’instabilité et, il faut bien le dire, un peu un esprit de défaite qui s’installait dans la gauche. Désormais, avec cet ouvrage et le trouble qu’il crée, c’est le vide, comme si le plancher s’était dérobé sous les pieds des socialistes. Même la base, qui pouvait garder sa confiance au Président, est cette fois extrêmement déstabilisée.

Par quoi est-elle déstabilisée au juste: par le fait que le Président se soit confié à des journalistes, ou par le contenu de ces confidences?

Par le contenu. Les termes qu’il utilise. Une forme d’agressivité. La violence de la charge contre des institutions comme l’institution judiciaire, mais aussi la violence gratuite contre des gens qui ne lui ont rien fait. Les footballeurs par exemple. Pourquoi s’en prendre à eux, qu’est-ce que ces gens-là lui ont fait? J’ai l’impression qu’au trouble politique s’est ajouté une question: mais c’est qui, François Hollande? Celui du livre ou celui que j’ai rencontré un jour à la Fête de la rose? Le Premier secrétaire que j’ai vu pendant tant d’années, sympathique et affable, ou cet homme-là?

François Hollande est-il double?

Souvent, les hommes politiques de haut niveau, parce que c’est le « jeu » de la politique, sont obligés de se construire des identités privées et publiques, et parfois les passerelles sont compliquées. J’ai eu l’impression moi-même à certaines occasions que je m’adressais à deux François Hollande. Et que l’un ne savait pas ce que l’autre faisait. Il y a une forme de dualité, c’est clair, et d’incompréhension du personnage, pas que pour moi, mais pour beaucoup de gens. Mais c’est la première fois que cela apparaît en public.

Qu’y a-t-il dans ce livre qui traumatise autant les socialistes?

Ce qu’il y a de plus frappant, c’est le vide politique. Quand François Hollande dit qu’il refuse le procès en trahison, il a bien raison: il n’a rien trahi parce qu’en fait, il n’a pas de ligne politique. On a un Président qui n’aime pas la politique. Il adore la tactique, les réseaux, les rapports de forces etc, mais il n’aime pas la politique, avec un grand P. Et ce petit mépris qu’il a pour l’idéologie, pour la culture militante, il le paie très cher aujourd’hui: il est aveugle dans la situation, il improvise. Pour lui, la politique, c’est des salles de réunion. Il n’a pas de respect pour les notions idéologiques, ni pour les profils. Il adore ainsi s’entourer de technos, parce qu’en fait il n’aime pas les gens qui ont des pulsions politiques.

Malgré tout, il reste le meilleur candidat pour représenter la gauche à la présidentielle?

Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Je dis qu’aujourd’hui, malgré tout, par sa situation institutionnelle, par la situation d’empêchement chez un certain nombre de dirigeants, ou d’hésitation, il reste celui qui est en passe d’être le candidat. Je considère que ce n’est pas le meilleur candidat, mais il garde encore la main. Je ne crois pas à la thèse d’un François Hollande jetant l’éponge, ça n’existe pas. Soit une alternative, un autre choix crédible se lève, soit François Hollande sera candidat.

Cet autre choix crédible pourrait-il être Manuel Valls, dont vous êtes proche?

Pour moi, oui, je ne l’ai jamais caché. Mais ce n’est pas son point de vue aujourd’hui. Il est le seul aujourd’hui dans la famille socialiste qui ait la cohérence, l’autorité, l’expérience institutionnelle la plus haute, à la condition de rassembler une gauche qui est en voie de grande dislocation. Pour moi, oui, la seule alternative crédible, ce serait le premier ministre.

La gauche est-elle menacée de disparition?

Non, mais elle est en voie de balkanisation. L’extrême gauche est divisée, le Front de gauche de Mélenchon est divisé, les écologistes ont scissionné, le Parti socialiste tient bon gré mal gré, mais les forces centrifuges sont à l’œuvre. C’est la capacité de la gauche à avoir une masse critique électorale lui permettant d’accéder aux responsabilités qui est en jeu aujourd’hui. On a l’impression d’un retour en arrière important. L’autre livre de la semaine, ce sont les Lettres d’amour de François Mitterrand: quelque part, ce quinquennat a détricoté ce qu’il restait de la construction de Mitterrand, c’est-à-dire une gauche de gouvernement.


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